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Nouvelle contrainte à la charge de l’industrie pharmaceutique dans la lutte contre les pénuries de médicaments

Un nouveau dispositif, porté par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, pourrait aboutir à imposer aux entreprises exploitant un médicament mature d’intérêt thérapeutique majeur qui souhaiteraient en suspendre ou cesser la commercialisation, d’assurer, dans certains cas, le maintien de l’approvisionnement de son produit sur le marché français en les contraignant à retrouver un repreneur.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 (« PLFSS 2024 ») s’inscrit dans la stratégie politique actuelle de lutte contre les pénuries de médicaments en France et propose l’instauration dans le dispositif légal d’une mesure particulièrement contraignante pour l’industrie pharmaceutique.

En effet, entre autres mesures, le PLFSS 2024 présente un certain nombre de mesures fortes afin de poursuivre l’objectif de lutte contre les ruptures d’approvisionnement, parmi lesquelles l’obligation pour certains laboratoires exploitant un médicament d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) qui souhaitent en suspendre ou en arrêter la commercialisation de trouver un repreneur, sous certaines conditions.

  • Les entreprises concernées : les entreprises exploitant un MITM qui ne fait plus l’objet d’une protection au titre des droits de propriété intellectuelle ou industrielle (produits considérés comme matures).
  • Conditions d’application de l’obligation de trouver un repreneur :
    • lorsque ces entreprises souhaitent en suspendre ou en arrêter la commercialisation ; et
    • si les alternatives disponibles ne permettent pas de couvrir le besoin de manière pérenne.
  • Obligation de déclaration renforcée de la part des entreprises concernées qui envisagent de suspendre ou arrêter la commercialisation des MITM : en plus de la déclaration de suspension ou d’arrêt de commercialisation des MITM à communiquer à l’ANSM un an avant la suspension ou l’arrêt effectif (actuel article L5124-6 du code de la santé publique), l’entreprise devra compléter cette déclaration d’une analyse des incidences prévisibles de sa décision sur la couverture des besoins de la population française.
  • Obligation des entreprises de trouver un repreneur, à la discrétion de l’ANSM : en effet, si l’ANSM considère que les alternatives disponibles ne permettent pas de couvrir les besoins nationaux, le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché (« AMM ») en est informé et doit :
    • indiquer à de potentiels repreneurs son intention de concéder l’exploitation ou transférer l’AMM du médicament concerné ;
    • répondre de façon motivée à chaque offre reçue ;
    • donner accès à toutes informations nécessaires aux entreprises candidates à la reprise de la commercialisation du médicament, sauf en ce qui concerne les informations dont la communication porterait atteinte aux intérêts de l’entreprise.

Le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché a un délai de 9 mois à compter de l’information par l’ANSM de l’impossibilité pour les alternatives disponibles de couvrir les besoins nationaux, pour informer d’éventuels repreneurs, lancer un processus d’offre, examiner les offres reçues et indiquer à l’ANSM l’offre qu’il considère retenir. Cette information doit être accompagnée d’un rapport indiquant :

  • les actions engagées pour assurer la reprise ;
  • les offres reçues ;
  • les raisons qui l’ont conduit à accepter ou refuser chaque offre reçue, notamment pour ce qui concerne le niveau de sécurité d’approvisionnement que l’entreprise candidate pourrait assurer, en ce inclus la localisation des sites de production.

Cette mesure s’annonce particulièrement prohibitive et dissuasive pour les entreprises exploitant un MITM mature en France et qui prennent la décision de suspendre ou arrêter la commercialisation. En effet, celle-ci place ces entreprises dans une situation précaire à plusieurs égards :

  • les décisions de suspendre ou cesser la commercialisation d’un MITM sont souvent le résultat de difficultés économiques préalables ; encadrer cette situation d’une obligation de trouver un repreneur, dans un contexte concurrentiel défavorable et dans un délai aussi court que celui de 9 mois, contraindra les entreprises à faire face à une situation de faiblesse dans le cadre des négociations de reprise avec un ou plusieurs éventuels repreneurs. Ce délai de 9 mois semble particulièrement déconnecté de la réalité compte tenu des étapes à mettre en œuvre dans le cadre d’un processus d’acquisition d’un produit (création d’une data room, audit légal et financier, financement, accords de transition, réorganisation de la chaine de fabrication / approvisionnement, etc.) ;
  • la décision de simplement suspendre un MITM semble difficilement compatible avec ce nouveau dispositif qui semble plus répondre à des situations où l’entreprise exploitant le MITM souhaiterait s’en séparer à long terme ;
  • la décision de déclencher l’obligation de trouver un repreneur reste à la discrétion de l’ANSM, ce qui limite la visibilité des entreprises et leur capacité d’anticipation ;
  • l’obligation de communiquer spontanément des informations stratégiques aux candidats repreneurs permettant la reprise de la commercialisation du médicament pourrait placer les entreprises cédantes dans une situation où elles pourraient fragiliser certaines entreprises, et les contraindre à devoir dévoiler des informations sensibles concernant le MITM concerné, mais qui pourraient également concerner d’autres produits de leur portefeuille ;
  • à défaut de trouver un repreneur dans un délai de 9 mois, les entreprises concernées pourraient se voir forcées de concéder gratuitement à un établissement pharmaceutique détenu par une personne morale de droit public (i) l’exploitation ainsi que (ii) la fabrication du médicament pour le marché français, et ce pour une durée de deux ans, renouvelable sans limitation ;
  • à défaut pour les entreprises concernées de ne pas mettre en œuvre ce mécanisme de recherche de repreneur, celles-ci seront exposées à un risque de sanctions financières, à verser à la Caisse nationale de l’assurance maladie.

A noter que cette mesure s’accompagne également de la possibilité pour l’ANSM d’intégrer de sa propre initiative de nouveaux médicaments sur la liste des MITM, alors que la catégorisation d’un médicament en MITM se fait pour l’instant sur la base d’une auto inscription de la part de l’entreprise. Les entreprises exploitant un MITM doivent faire face à des obligations spécifiques et plus lourdes que celles exploitant des médicaments ne tombant pas dans cette catégorie, cette nouvelle capacité de l’ANSM pourrait également être de nature à placer certaines entreprises dans des situations délicates si l’un de leurs produits venait à être considéré comme MITM.

Cette proposition vient ainsi durcir le régime applicable aux ruptures d’approvisionnement de médicaments, déjà bien étoffé au fil des dernières années et allant jusqu’à prévoir dans certains cas la possibilité pour l’ANSM de contraindre une entreprise à faire importer, à ses coûts, une alternative médicamenteuse en cas de rupture de stock d’un MITM.

Ce dispositif pourrait toutefois être également créateur d’opportunités pour d’autres entreprises intéressées par la reprise de MITM matures, à un prix probablement très dégradé par rapport à celui qui aurait été pratiqué par le cédant dans un contexte moins défavorable.

Prochaines étapes

A ce stade des débats, cet article est encore largement susceptible d’évoluer et de faire l’objet d’une levée de boucliers de la part de l’industrie. Selon le résultat des débats, si cette obligation demeurait dans le texte final, un certain nombre de critères et de conditions devront être spécifiés par décrets ; dont l’adoption est à ce jour anticipé pour le second semestre 2024, ce qui laisserait quelques mois aux industriels pour se préparer à l’entrée en vigueur de ce dispositif.

N'hésitez pas à contacter les auteurs de cet article ou les avocats Hogan Lovells qui vous assistent habituellement pour toutes questions relatives à ce projet d’article ou de manière plus générale, aux règlementations applicables aux ruptures d’approvisionnement de produits de santé en France.

 

 

Rédigé par Mikael Salmela and Joséphine Pour.

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