Perspectives et analyses

Retour sur les rencontres économiques d’Aix en Provence. Vers plus de justice fiscale ? Réflexions a posteriori

Cette année, le cabinet était présent aux 23e Rencontres Economiques d’Aix-en-Provence organisées autour du thème : « Recréer l’espoir ». Dans le cadre d’une table ronde dédiée à la justice fiscale, plusieurs questions ont ainsi été abordées afin d’apporter un éclairage ou une réflexion sur l’efficacité de l’impôt, confronté au triple enjeu de sa collecte, de sa progressivité et de sa redistribution.

« Les lois ne sont faites que pour exploiter ceux qui ne les comprennent pas, ou ceux que la misère la plus noire empêche de s'y conformer »1. Reprenant l’un des thèmes de l’Opéra de quat’sous en ouverture des échanges, l’enjeu de cette table ronde était de se pencher sur la légitimité de l’impôt confronté au sentiment d’injustice fiscale ressenti plus ou moins vivement selon la situation et les convictions de chacun, mais exprimé par 75% des français2.

Un tel constat interpelle.

L’impôt est véritablement l’un des pactes fondateurs de la vie en société, et participe de la volonté des citoyens à contribuer à la préservation du bien commun et du lien social.

Dans un pays où le niveau d’égalité est relativement bon3, on peut dès lors s’interroger sur le bien-fondé de ce sentiment. A y regarder de plus près, il s’avère que ce ressenti est plus particulièrement prononcé auprès des revenus les plus modestes, notamment en raison du poids des charges sociales et de leur impact sur le « reste à vivre ».

Ainsi, d’après la charte préparée par Messieurs Landais, Piketty et Saez sur le mix de prélèvements obligatoires supportés par les français, pour plus de 99% des français, les charges sociales représentent plus de la moitié de leurs prélèvements. C’est encore plus vrai pour les classes « populaires », pour qui cela représente environ 60%. Pour les 1% les plus aisés, ce pourcentage descend très vite d’environ 40% à moins de 5% de leurs prélèvements4. Cette analyse souligne au demeurant que la prise en charge par l’Etat des risques de la protection sociale (vieillesse, santé, chômage, famille, pauvreté, logement), par le biais des charges sociales et de la CSG, est à l’origine d’une forte pression fiscale, où le coût de la protection sociale publique représente plus de 30% du PIB, dont plus des ¾ pour la vieillesse et la santé.

Un exemple susceptible d’illustrer le sentiment d’injustice ressenti par les français ressort du rapport de l’institut Montaigne de 2020, qui révèle que le département de la Seine Saint Denis, qui est le plus pauvre de France, est parmi les 10 contributeurs les plus importants au financement de la protection sociale, tant en montants absolus que par habitant, avec une contribution de près de 9.300 euros par habitant, mais affiche en contrepartie le plus faible montant de prestations par habitant, avec près de 8.400 euros par habitant.

Cela s’explique notamment par le mode de financement des retraites, qui repose à hauteur de 80% sur les cotisations sociales prélevées sur les revenus du travail des actifs. On comprend alors pourquoi un département beaucoup plus jeune que la moyenne, qui compte beaucoup moins de retraités que les autres, contribue autant à la solidarité nationale (malgré la relative pauvreté de ses habitants) tout en en bénéficiant si peu.

A cet égard, une réforme des modalités de financement de la sécurité sociale semble être une piste d’amélioration de l’efficacité de la redistribution de l’impôt, et partant de sa légitimité auprès des contribuables.

Cela permettrait de réduire le poids de la fiscalité (au sens large) sur les travailleurs, en modifiant les modalités de financement de la sécurité sociale. Les charges sociales sont un prélèvement injuste qui pèse disproportionnellement sur les bas et moyens salaires. Il faut écrêter la courbe de Thomas Piketty pour réduire la pression des charges sur ces segments. L’impact sur le financement qui en résulterait serait rapidement compensé par l’élargissement de la base des cotisants avec les embauches qui résulteront de la baisse du coût du travail pour les entreprises.

Pour compenser les réductions de charges, et augmenter la circulation des richesses, la piste de l’augmentation des droits de mutation (principalement l’héritage) pourrait également être évoquée. Ce sujet est sensible car il touche à la volonté de transmettre, à la préservation du patrimoine, etc. Mais au-delà de certains montants, il nous semble permis de penser qu’il vaut mieux encourager la circulation des capitaux et la dépense au lieu de la thésaurisation. C’est en tous cas le choix de nombreuses grandes fortunes mondiales.

Une autre manière de financer la sécurité sociale serait d’améliorer l’efficacité de la dépense publique. Cette piste est manifestement assez complexe à mettre en œuvre.

Toutefois, on constate une remise en cause grandissante de l’utilisation des deniers publics, ce qui interroge sur le sens de la fiscalité réduite à une fonction exclusivement budgétaire, et induit à définir l’impôt comme le prix d’un service rendu plutôt que comme l’expression d’un devoir social. Une des raisons du ressenti négatif des français par rapport au niveau de prélèvements obligatoires est la dégradation certaine des services publics en France. La légitimité de l’impôt est miné par cela.

Or, l’efficacité de l’impôt va de pair avec sa légitimité et le contribuable consent plus facilement à un impôt légitime.

Cette efficacité touche également les fondements de l’impôt, basés aujourd’hui encore sur les principes de territorialité et d’établissement stable physique, confrontés à la mondialisation et au développement du numérique. En marge du projet de réforme de la fiscalité internationale, à savoir le  Pilier 1 avec le nouveau concept d’imposition des profits dans les pays de consommation et le Pilier 2, avec le taux effectif minimum de 15%, l’évolution du comportement des acteurs économiques doit en effet conduire à interroger la capacité des Etats à concevoir l’impôt au-delà du prisme national pour rester légitime, efficace et compétitif et intégrer le développement du numérique5.

Prochaines étapes

Nous vous donnons rendez-vous l’année prochaine pour de nouveaux échanges sur d’autres thèmes. Si vous souhaitez discuter plus en détail des actualités fiscales et corporate et de leurs impacts sur les transactions et les structurations de sociétés, n'hésitez pas à prendre contact avec un membre de nos équipes Tax et Corporate & Finance à Paris.

 

 

Rédigé par Xavier Doumen et Xenia Legendre.

Sources
1 B. Brecht, L'opéra de Quat’sous, Acte III, Tableau 7
2 Etude Michel Forsé et Maxime Parodi de 2015 sur les Français et la justice fiscale.
3 Le coefficient ou l'indice de Gini porte le nom du statisticien et démographe italien Corrado Gini (1884–1965). C'est un indicateur de dispersion permettant principalement d'apprécier les inégalités dans la distribution des richesses d’un territoire. Il varie entre zéro et un, zéro étant la situation d'égalité parfaite (chaque citoyen est exactement aussi riche que son voisin), un étant la situation d'inégalité parfaite (un citoyen possède toutes les richesses, les autres aucune). Les pays du monde s'ordonnent ainsi entre 0,25 (pays d'Europe scandinave et centrale) et 0,70 (pays émergents d'Amérique latine, d'Afrique centrale).
4 La charte décompose les prélèvements obligatoires en quatre grandes catégories :
  • les cotisations sociales (et autres taxes sur les salaires), qui sont régressives: elles pèsent beaucoup plus lourdement sur les revenus bas et moyens que sur les hauts revenus. Cela s'explique par le fait que les cotisations sociales pèsent très peu sur les revenus du capital et sur les hauts salaires (plafonnement).
  • les impôts sur la consommation (TVA et autres impôts indirects), qui sont également régressifs. Cela provient du fait que les plus pauvres consomment la quasi-totalité de leur revenu, alors que les plus aisés peuvent en épargner une large part.
  • les impôts sur le capital (impôt sur les bénéfices des sociétés (IS), taxe foncière (TF), impôt sur la fortune (ISF) et droits de successions(DMTG)), qui sont progressifs. Cela s'explique par la très forte concentration des patrimoines: les plus pauvres ne possèdent presque rien, les plus aisés possèdent la quasi-totalité du capital immobilier et financier.
  • les impôts sur le revenu (CSG et IRPP), qui sont faiblement progressifs pour les revenus modestes et moyens, et franchement régressifs pour les hauts revenus. Le système fiscal français a la particularité de comporter deux impôts sur le revenu:
    • l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), qui est un impôt progressif, avec des taux allant de 5.5% à 41% suivant le revenu du foyer
    • et la contribution sociale généralisée (CSG), qui est un impôt individuel et proportionnel taxant tous les revenus à un taux de 8%, et dont les recettes sont affectées aux dépenses sociales (maladie, famille, vieillesse). 
5 Quelle justice fiscale pour un monde en transition ?, RFFP sept. 2019, n° 147, p. 149

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