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Un nouvel outil de financement indexé sur les revenus récurrents prend une ampleur plus importante sur le marché français de la dette : les financement fondés sur les revenus récurrents annuels ("annual recurring revenue based financings"), dits « financements ARR ».
La crise sanitaire a eu, et continue d'avoir, un impact différencié sur la situation financière des entreprises. Certains secteurs ont enregistré une forte baisse de leur chiffre d'affaires, tandis que d'autres ont réussis à s’adapter, voir à se réinventer. Le monde de l'e-commerce, de la santé ou des logiciels en font notamment partie. Ces secteurs ont enregistré ces dernières années une hausse importante de leur valorisation, atteignant des multiples d'EBITDA parfois inédits.
Dans ce contexte, les prêteurs ont dû revoir leurs méthodes d'évaluation de risque et de performance pour calibrer leur financements. L'EBITDA n'apparaissant plus comme l’indicateur de performance le plus fiable ou le plus adapté aux modèles des start-ups et PME ayant encore peu d'activité ou étant en phase de croissance accrue.
En réponse à ces sujets, un outil de financement indexé sur les revenus récurrents a pris une ampleur plus importante sur le marché de la dette français (dans la lignée des pratiques outre-Atlantique et outre-manche): les "annual recurring revenue based financings", dits « financements ARR ». Ces financements, déjà établis aux Etats-Unis, ont particulièrement le vent en poupe dans les secteurs de la santé et des nouvelles technologies ; et leur usage tend encore à s’étendre.
Les start-ups ou PME innovantes ayant un fort besoin de liquidités pour financer leur croissance. recherche et/ou développement peuvent rencontrer des difficultés à obtenir un prêt à terme et/ou un crédit renouvelable. En effet, leur business model ne leur permet pas toujours de répondre aux critères traditionnels d'octroi de prêts. L’entrée au capital d’investisseurs privés n’est également pas toujours l’option choisie ou appropriée pour les fondateurs ou l’investisseur financier en place.
Fort de ce constat, les financements ARR offrent une solution alternative et proposent de nouveaux critères d'obtention de financements où le montant mis à disposition est calculé directement sur les revenus considérés comme récurrents.
Le profil-type de l'emprunteur ARR est une entreprise en phase de croissance (quelle que soit sa taille) qui ne génère pas encore nécessairement de profits (bien qu'elle approche du seuil de rentabilité) mais justifiant d'une base stable de revenus. Les entreprises ayant une clientèle par abonnement sont les principales cibles; les abonnements permettent en effet d'assurer des revenus réguliers et d'avoir une visibilité sur leur chiffre d'affaire pour la durée des contrats de souscription en cours. Cette base de revenus rassure les prêteurs qui se concentrent sur le nombre d'abonnements, la fréquence des règlements des frais d'abonnement et surtout un faible taux de résiliation (le "churn rate").
Au vu de ces différents paramètres, les financements ARR s'adressent en premier lieu (mais pas seulement) aux start-ups et aux entreprises de l'e-commerce, de la Tech, du SaaS (Software-as-a-Service) ou CaaS (Container-as-a-Service).
Dans un financement ARR, les revenus récurrents deviennent le nouvel indice de détermination (i) des sommes mises à disposition et (ii) de la performance de la société ou du groupe (en lieu et place du traditionnel indice EBITDA). Les prêteurs acceptent donc de mettre à disposition les fonds pour financer le BFR, la recherche ou une acquisition, au profit d'entreprises dont l'EBITDA est indisponible, insuffisant ou naissant.
Les financements ARR sont quasi-invariablement sur une base in fine (5 à 7 ans maximum) et sans amortissement du principal (ou alors sur une base minimale ou volontaire durant la vie du crédit).
La définition des "revenus récurrents" est un élément central dans la mise en place d'un financement ARR, l’objectif étant que cette dernière reflète au mieux le flux de trésorerie réellement généré par l’entreprise pour juger de sa performance. Le montant avancé représente généralement de l'ordre de 1.3x à 3.0x l'ARR.
En pratique, seuls les revenus liés à des contrats d'abonnement sont pris en compte. Cette approche exclut donc du calcul ARR toutes rentrées de fonds liées aux fonctions support ou aux processus d'intégration, de formation ou de mise en place des services fournis. La question se pose particulièrement concernant les revenus de maintenance, ces derniers pouvant éventuellement être pris en compte et intégrés, dès lors qu'ils sont directement liés aux abonnements.
Plusieurs options se présentent également pour déterminer la base du calcul ARR :
les revenus sont déterminés sur une base LTM (last twelve months), mais cela implique que l'entreprise concernée existe et opère depuis plus d'un an ; ou
le calcul s'appuie sur des données trimestrielles, mais ajustées pour l'année complète ; ou
seul le dernier mois de revenus est pris en compte dans le calcul. Cette option reflète certes une position récente de la performance, mais fait l’impasse sur toute une volatilité saisonnière des revenus et ne permet pas d’avoir une vision des revenus récurrents sur une période élargie.
Les composantes d'un financement ARR sont sensiblement similaires à celle d'un financement corporate ou d'acquisition (selon l'objet du financement), à la principale différence que le calcul du ratio de levier sur la base de l'EBITDA du groupe est remplacé par un calcul sur la base des revenus récurrents.
Le test du ratio sur une base ARR n'est en revanche pas pérenne et n'a vocation à s'appliquer pour une période de deux à trois ans seulement. A l’issue de cette période, une conversion du test de levier (appelée "flip" ou "switch") doit s’opérer pour passer sur une base de calcul avec l’EBITDA comme dénominateur. Le mécanisme du flip intervient généralement après deux (voire trois ans maximum) en fonction des projections de profits futurs par le groupe.
Il est parfois prévu une période de flexibilité de 12 à 24 mois maximum pendant laquelle l'entreprise a le choix d'appliquer à sa discrétion l'ARR ou l'EBITDA comme base du calcul de son ratio de levier. Le flip est consommé une fois que le ratio de levier (Dette Nette/EBITDA) est en ligne avec les niveaux de ratio de levier prévus dans la documentation sur deux dates tests consécutives.
Une différence notable dans la documentation ARR (par rapport à celle des financements testés sur une base EBITDA) est que les obligations d'information de l'emprunteur sont accrues. Les prêteurs s’attendent à recevoir, entre autres, des comptes de gestion mensuels, des rapports réguliers sur les performances ainsi qu'à être informés en cas de conclusion (ou de perte) de contrats significatifs. Le test du ratio de levier est fréquent et a minima sur une base trimestrielle. Le test de ratio de levier est généralement également doublé d’une clause de liquidité minimale. L'objectif est de garantir que l'entreprise disposera de liquidités suffisantes pour subvenir à ses échéances opérationnelles les plus proches (voire à compenser tout écart de performance qui pourrait survenir). Cette clause de liquidité minimale peut cependant être écartée suite à la survenance du flip, même si les prêteurs peuvent exiger qu'elle continue à s'appliquer pendant toute la durée du contrat.
Les financements ARR prévoient également une faculté de paiement des intérêts en nature (PIK) (soit pour l'intégralité des intérêts sur une période déterminée, soit partiellement seulement). L'objectif étant de maximiser la trésorerie disponible pour la société tout en s'assurant d'une capacité à assurer le service de la dette.
Les financements ARR prévoient également des clauses de remédiation en capital pour combler aux défaillances des covenants financiers (ratio de levier (sur une base ARR) et, le cas échéant, liquidité minimale). A noter que l'injection de capital s'applique quasi-invariablement sur la composante dette nette du ratio et ne vient pas rehausser artificiellement l'ARR. Toute injection de fonds dans le cadre d'une remédiation en capital vient généralement également rehausser le montant de liquidité minimale afin de s'assurer que la société ne soit pas systématiquement en état de sous-liquidité opérationnelle. De même, afin de préserver la liquidité de la société, les exceptions au titre de transactions autorisées (tels que l'endettement additionnel, le paiement de dividendes, les investissements, etc…) sont strictement encadrés et ne sont pas applicables avant le flip.
Dans la lignée d'un principe de maximisation de la trésorerie disponible, les financements ARR ne prévoient généralement pas de clause de cash sweep.
Une fois le flip réalisé, le prêt laisse place à une plus grande flexibilité par l'application de clauses d'ajustement de marge (margin ratchet) ou de transactions autorisées (permitted baskets) par exemple. Les prêteurs sont alors plus enclins à davantage de flexibilité car ils retrouvent une mécanique familière de calcul de la capacité de remboursement de l'entreprise sur la base de l'EBITDA généré.
En pratique, les financements ARR se combinent difficilement avec d’autres endettements financiers, à l'exception du crédit-bail ou du financement d'équipement. Un crédit renouvelable (sur une base super-senior ou pari-passu) peut éventuellement compléter un financement ARR, dans des montants toutefois raisonnables. Dans le cadre d'une acquisition, la mise en place d’un financement ARR requiert par ailleurs l’injection de fonds propres (minimum equity) plus importants que dans le cadre de l’acquisition d’un groupe établi.
Les financements ARR constituent sans aucun doute une ouverture pour le financement de start-ups et PME françaises à fort potentiel. Déjà bien établis aux Etats-Unis, le marché européen semble s'y intéresser de plus en plus.
Rédigé par Alexander Premont et Ouassila El Asri.